C’est une réalité qui, ces trois dernières années, représente pour moi presqu’une étude sur dix. Mais depuis janvier 2023, déjà quatre chiens ont été diagnostiqués, souvent des chiens de type berger. C’est trop. Évidemment, ma vision est faussée. Je ne peux parler que de ce que je vois. Le but n’est donc pas d’énoncer une vérité universelle. Mais cela m’inquiète…
Lorsque cette pathologie est pressentie à l’étude, quand le chien est réorienté vers un vétérinaire comportementaliste qui connaît ce trouble parfois grave, c’est toute la vie qui peut changer. Parfois malheureusement, il sera très difficile d’aider le chien, totalement envahi par le besoin obsessionnel de contrôle, considérablement aggravé par la gonadectomie précoce.
Au téléphone, personne n’annoncera « bonjour madame, mon chien est obsédé par le contrôle. La plupart des particuliers diront : - « Mon chien me protège ». - « Mon chien est hyperattaché ». - « Mon chien est très jaloux ». - « Mon chien est toujours stressé ». - « Mon chien fait de l’hypervigilance sur moi et les autres ». - « Mon chien « fait de l’anxiété de séparation ». Etc…
Très vaste, me direz-vous…
Lorsqu’il nous appelle, le client emploie les expressions qu’il a trouvé sur Internet et entendu régulièrement autour de lui, dans le but de nous faire comprendre les comportements de son chien. C’est normal. N’oublions pas que l’analyse nous appartient et que pour l’aider du mieux possible, il nous faut toujours douter, tout en restant à son écoute. Car si son analyse est souvent faussée par l’affect, par contre, il est le seul à pouvoir nous livrer les détails essentiels qui permettront de faire la différence à la source. En effet, par certains côtés, cette pathologie ressemble parfois à l’anxiété de séparation ou à l’hyperattachement. Or, elle est n’en est pas du tout. Et la traiter comme tel, aggrave considérablement l’état du chien.
>>> DANS LA SPHÈRE RELATIONNELLE HUMAIN-CHIEN (Le chien pourra avoir tous les comportements ou seulement certains). - « Mon chien me suit partout dans la maison ». - « Il surveille tout ce que je fais, et vient vérifier tout ce que je prends ou mange ». - « Il aboie quand je quitte une pièce, ou la maison ». (Il s’agit de colère - le client ne le sait pas - les aboiements sont typiques). - « Il est très collant ». Si je demande, « qu’entendez-vous par là? », le client répond « on dirait qu’il veut toujours avoir une partie de son corps en contact avec le mien. Il s’appuie ou se pose sur moi. Il me pousse ou essaie parfois d’arrêter mes déplacements en se collant devant moi. Un jour il m’a même fait tomber… ». - « Il ne fait ça qu’avec moi. Pas avec mon mari » ou « pas avec ma femme », si c’est l’homme qui parle. - « J’étouffe et je ne supporte plus mon chien ». Souvent, la personne finira par pleurer, et pour cause…
À ce stade, le client est persuadé que son chien est en « hyper-attachement » ou « qu’il souffre d’anxiété de séparation ». Je lui demande : « avez-vous un problème à laisser votre chien quand vous partez de chez vous ? » Je sais alors que souvent, la personne va répondre : « Non, pas du tout, cela me fait beaucoup de bien ».
D’autres questions sont alors posées. Elles vont étonner le client. Il va même se demander pourquoi elles sont posées.
- « Est-ce que votre chien vous lèche beaucoup ? : Oui. - Quelles parties de votre corps lèche-t-il ? : Mes mains, mes avant-bras, mes pieds, et si je le laisse faire, mon visage. - Arrive-t-il que votre chien tente de monter sur vous, puis de poser ses pattes sur vos épaules ? Oui, c’est d’ailleurs là qu’il essaie de lécher mon visage, et mes oreilles. C’est désagréable, je me sens envahie. - Votre chien simule-t-il l’acte sexuel sur vous ? Oui. - Lui arrive-t-il de voler vos sous-vêtements dans le linge sale ? Oui, c’est vrai… - Lui arrive-t-il de marquer dans la maison ? Oui. - Quand il dépose ses odeurs chez vous, avez-vous déjà observé qu’il le fait très haut ? Oui c’est vrai, maintenant que vous le dites, un jour je suis partie et il a fait ses besoins sur la table basse du salon… » Etc.
Tous ces comportements font partie du même problème. Ici, il ne s’agit pas d’hyper-attachement, mais de comportements de contrôle et de harcèlement de l’humain d’attachement (jusqu’à sexuel parfois), d’un chien dont les besoins génétiques de contrôle sont parfois très aggravés par la castration précoce, cause d’hyper-androgénie.
À l’étude, tous les chiens en hyper-androgénie ont été castrés durant la puberté, certains à l’âge de deux mois, d’autres à six mois, d’autres avant l’âge d’un an. Un scandale.
Les androgènes abondent pour compenser l’absence de testostérone sans laquelle le chien ne peut pas survivre. Tous les comportements d’imposition, de contrôle, de protection, de vigilance et d’agression vont être décuplés par les androgènes (dix fois plus actifs, toxiques et cancérigènes). Le chien qui possède des patrons-moteurs de contrôle, de conduite et de protection va alors chercher à diriger les déplacements de son humain d’attachement. Il se comporte avec lui comme s’il était « sa chose », « sa possession » qu’il doit protéger, surveiller. L’humain d’attachement devient l’objet d’une mission totalement hypertrophiée. Les comportements dégénèrent lorsque l’humain se sent mal à l’aise (évidemment), dérangé (car les comportements peuvent devenir sexuels), ou prend peur (car le chien est agressif avec l’autre humain de la maison). L’humain mordu est toujours celui qui fait obstacle, s’interpose (souvent, le conjoint). C’est un conflit de ressource pour un partenaire sexué. Mais ici, la protection de ressources n’est qu’un symptôme d’un problème bien plus grand.
>>> DANS LE FOYER (Le chien pourra avoir tous les comportements ou seulement certains). - « Nous ne pouvons plus inviter personne, c’est devenu trop dangereux ». - « Mon chien aboie très fort sur l’intrus, saute sur lui, il a déjà failli mordre quelqu’un. Nous avons entendu sa mâchoire. ». - « Au bout d’un long moment, il finit par se calmer à condition que la personne reste assise. Si elle se lève ne serait-ce que pour aller aux toilettes, il recommence à aboyer très fort, et met autant de temps à se calmer que la première fois ». - Mon chien met les gens qui viennent chez moi très mal à l’aise car il les surveille. Dès qu’ils bougent, il aboie vraiment très fort sur eux. Il est incapable de faire autre chose tant qu’ils sont là. » - « Nous avons l’impression que notre chien n’a pas de mémoire. Il agresse de la même manière des personnes qui viennent régulièrement chez nous, comme s’il ne les avait jamais vues. » - « Mon chien est stressé quand on reçoit. Il est agressif avec nos invités et se masturbe beaucoup à ce moment-là ».
Le chien ici tente de protéger ses ressources (le foyer, le territoire, ses humains) de manière excessive, sans véritable phase d’arrêt dans la séquence comportementale. L’hypervigilance, le contrôle des allers-venues des inconnus, l’inconfort lié à leur présence qu’il ne tolère pas, sont inhérents à sa mission. Ils correspondent à des patrons-moteurs qui peuvent dégénérer en troubles obsessionnels compulsifs. La colère de ce chien est souvent grande face à ce qui est vécu comme une intrusion insupportable sur sa zone à protéger. C’est souvent la génétique mal sélectionnée qui est problématique. Mais il faut aussi vérifier si le chien n’est pas en hyper-androgénie, ce qui empire absolument tout.
>>> DANS LA SPHÈRE EXTÉRIEURE (Le chien pourra avoir tous les comportements ou seulement certains). - « Mon chien est insupportable avec ses congénères. Il les harcèle, veut décider de leur déplacements, les conduire. S’ils refusent, il les agresse violemment ». - « Mon chien chevauche ses congénères. S’ils refusent, il les agresse violemment. » - « Mon chien est très stressé quand il se retrouve dans un lieu fermé qu’il ne connaît pas, avec beaucoup de personnes qu’il ne connaît pas ».
Mais « très stressé » n’indique en rien l’état émotionnel du chien. Pour connaître les émotions qui le submergent, il faut partir des comportements.
« - Que fait votre chien dans ces moments-là ? - - Il est haletant. On dirait qu’il veut aller aboyer sur tout le monde ou discipliner tout le monde. Il est très agressif. Il tourne en rond. Il a déjà pincé quelqu’un par derrière. Il a déjà mordu par l’avant. Il n’arrive pas à se poser. Il a la pupille dilatée. Il va vers tout le monde, mais recule en aboyant devant eux. Il est épuisé quand on rentre. On a fini par arrêter le prendre avec nous en croyant que ça s’améliorerait. ».
Le chien ici, se retrouve dans l’impossibilité environnementale de contrôler tout le monde (en raison du nombre de personnes ou de la configuration des lieux). Mais il est envahi par son patron-moteur génétique, ce qui le fait tomber dans l’anxio-irritabilité. Cette situation doit absolument être évitée avant toute autre, car non seulement elle épuise le chien mentalement, mais en plus, la plupart des gens mordus le sont souvent dans ce contexte précis où l’instabilité émotionnelle du chien est grande.
Lorsque plusieurs de ces comportements sont relevés dans divers contextes, il existe une présomption d’hyper-androgénie, souvent présente sur un chien aux patrons-moteurs de contrôle et de protection. L’hypothyroïdie devrait aussi être sérieusement envisagée, les déséquilibres des deux sphères hormonales étant fréquemment liés. Parfois, dans les cas très graves, le chien sera hyper-androgène, hypothyroïdien et porteur d’un trouble obsessionnel compulsif de contrôle et/ou de protection. Même un doute justifie qu’il soit vu par un vétérinaire-comportementaliste bien au fait des troubles hormonaux, et de la sphère neurologique. Comme tout ce qui va sans dire va encore mieux en le disant, les vétérinaires qui prônent la gonadectomie précoce du chien, n’en font pas partie.
Si le chien est bien suivi, en cabinet par son vétérinaire-comportementaliste, sur le terrain par son éducateur-comportementaliste, dans son quotidien par son humain d’attachement investi, il a des chances de parvenir à modifier ses conduites, de réussir à en apprendre d’autres, de pouvoir augmenter sa tolérance envers les étrangers, de découvrir d’autres motivations, d’autres plaisirs, que celui de contrôler son humain d’attachement, de faire la vigie, de tyranniser et d’agresser tout ce qu’il n’adoube pas. De mon expérience (qui n’a pas valeur universelle), les chiens diagnostiqués par un vétérinaire sont des individus croisés de chiens de berger, surtout de border collie, ou de « race pure » de border collie, bergers australiens, et bergers américains, de lignée show. Dans la très grande majorité des cas - les plus difficiles - tous sont des chiens gonadectomisés durant la puberté.
Lire (et suivre)
https://www.facebook.com/Dr.Joel.Dehasse/posts/409424014303867 Lire les études à travers le monde compilées dans le livre du Dr. Dehasse sur les effets de la gonadectomie précoce. La stérilisation pour ou contre, 2018, E-book.
Le livre « Le chien, cet animal qui nous échappe », d’Audrey Ventura est disponible ici : https://bit.ly/3t0W9ED
@Cynoconsult merci pour cet article qui permettra à certains de comprendre les comportements de leurs compagnons !
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